Bénis des dieux

Et c’est parti ! Le match ? la guerre ?

On le saura dans les prochains jours avec les manifestations et grèves qui violenteront la France dès jeudi. 

Ce deuxième projet de la magistrature Macron est largement moins novateur que le premier qui érigeait un système à points, et plus attentif à la situation des catégories les plus en difficulté ( faibles revenus et pénibilité du travail par exemple). L’essentiel de la confrontation est généré par le passage de 62 ans à 64 ans pour  faire valoir ses droits à le retraite.

Ce nouveau texte, théoriquement plus simple, n’en cache pas moins une multitude d’exceptions et d’avantages catégoriels qui font la joie des technocrates et des politiques de tous les bords qui y trouvent l’occasion d’accumuler les critiques.

Cette complexité, qui s’amplifie chaque jour davantage, provient en fait de l’Exécutif qui peu à peu a admis qu’avec cette réforme il poursuivait simultanément deux objectifs :

-assurer le financement des retraites, très en danger les 10 prochaines années. Et cela à cause du rapport de plus en plus déséquilibré entre le nombre de retraites à couvrir et le nombre d’actifs en charge de leur financement. C’est ainsi que si en 196O il y avait 4 financeurs pour un retraité,  il n’y en aura que 1,2 en 2050.

  • – le deuxième objectif tient à la volonté ( désormais clairement reconnue par le gouvernement) de remuscler notre économie par un accroissement du nombre d’actifs. Progression que la plupart des pays européens ont réalisé il y a déjà plusieurs années par un appel quasi systématique aux plus de 60 ans. A l’image bien évidemment de l’Allemagne, et même de l’Italie, où l’âge de départ est fixé à 67 ans.

Ces deux objectifs, et les modalités retenues par le gouvernement, n’ont pas provoqué la « bronca » de la majorité des économistes spécialisés dans ce type de problème.

Il en va différemment pour une grande partie des citoyens de base et de la quasi totalité des syndicats.

Ces blocages, dont on pourra observer la puissance dès ce jeudi 19 janvier, ont une double origine :

  • la première relève de l’évidence, mais paradoxalement elle est très rarement rappelée, quasiment par pudeur. Les Français ont beaucoup changé et désormais, ( alors que pendant longtemps il a constitué leur culture profonde) ils n’ont pas peur d’affirmer que le travail n’est plus une valeur de référence. A tout prendre, ils préfèrent orienter leur vie, le plus vite possible, vers « Le club Méditerranée, plutôt que vers leur usine ou  leur bureau). 
  • Les travaux de Jérome Fourquet, le pape des études d’opinion, démontrent largement que Français sont désormais moins motivés qu’avant. Il y a 30 ans, 60% des sondés répondaient que le travail était très important pour eux, ils ne sont aujourd’hui que 24% à faire cette réponse.

                          – le deuxième blocage trouve son origine dans la quasi unanimité syndicale.L’évolution de ces dernières années semblait aller en sens contraire : les syndicats les plus politisés ( avec à leur tête la CGT) étaient peu à peu rétrogradés par les salariés, derrière les organisations réformistes. L’ union syndicale qui vient d’être proclamée est vraisemblablement provisoire, mais elle a un double effet. Elle permet d’abord de dresser un barrage considérable face aux prétentions du gouvernement ; ensuite la nouvelle union  donne la possibilité aux bénéficiaires des régimes spéciaux, enfants naturels de la CGT et de FO, de les normaliser et ainsi de les protéger de beaucoup de critiques visant leurs privilèges.

Si cette alliance subsiste, les Français constateront alors qu’il n’est pas possible d’installer en France le même type d’organisation syndicale que celui existant dans les autres pays européens. Ce qui projettera une ombre d’importance sur notre possibilité de  résister à l’orage économique qui se profile à l’horizon.

Laurent Berger a dans cette affaire une responsabilité considérable. Sa démarche actuelle trouve son origine dans le procès qu’il fait au Président d’avoir voulu cantonner l’action syndicale au seul niveau de entreprises et de leurs branches. Dans l’immédiat il risque de gagner ce combat de coqs. Mais après, comment reprendre le chemin réformiste jusqu’alors adopté quasi systématiquement ? Ce chemin est aux antipodes de celui qu’a toujours emprunté la CGT, marquée à jamais par ses dérives passées et  fréquentes de bras armé de l’extrème-gauche. Cette même CGT qui voit, par exemple, ces jours-ci , ses responsables du secteur de l’énergie annoncer des coupures d’électricité dans les ministères, mais aussi et surtout de menacer de « s’occuper » des élus partisans de la réforme avec des coupures ciblée

Comment justifier ces excès, cette suffisance ? Y-a-il une réelle différence avec l’envahissement du Parlement américain par les troupes de Trump ou celui pratiqué sur les lieux de pouvoir de Brasilia par celle de Bolsonaro ?

Nous saurons jeudi si nous en sommes vraiment, dans notre pays, à ce point de rupture.  Se posera alors la question du devenir de l’actuel occupant de l’Elysée.

Il n’y a que trois solutions possibles :

-Emmanuel Macron constate sa défaite, supprime les mesures d’âge, mais garde les seules dispositions favorables à une partie des salariés.

                                    -Il démissionne, observant que sous la constitution de la 5em République un Président ne peut être réduit à jouer les René Coty.

                                    – Il reste en place, fait présenter le texte au Parlement (y compris en annonçant en dernier ressort l’utilisation de l’article 49-3 largement utilisé dans le passé, y compris par les socialistes alors au pouvoir ). En somme il privilégie la démocratie représentative face à la rue et aux organisation syndicales.

 Si le Parlement le suit comme c’est théoriquement possible, il reste en place pour les  4  ans à venir. Dans le cas contraire, il utilise le référendum et se retire en cas d’échec.

Seule la troisième formule lui permettrait d’ambitionner que l’Histoire le qualifie d’homme d’Etat. Mais ce n’est pas vraiment la préoccupation des Français eux qui, semble-t-il, préfèrent le beurre et l’argent du beurre, ne pas travailler plus longtemps et voir leur niveau de vie augmenter, quoiqu’il en coute, malgré la rudesse de la guerre économique qui se profile à l’horizon.

Il est vrai que nous sommes bénis des dieux et que nos voisins européens, eux, travaillent plus longtemps parce qu’ils ne sont que de médiocres tacherons sans génie.