L’ Ile des Bienheureux

Le Dauphiné Libéré

A la fin du mois de février le futur vainqueur de la bataille des retraites était désigné. Laurent Berger s’était imposé sans vrai problème à la tête des syndicats, au point que certains commentateurs le voyaient en futur candidat à la présidence de la République. Même la CGT semblait  s’effacer et courbait l’échine  ; c’était enfin le tour de la CFDT de donner le ton et le rythme. Et la grande majorité des Français semblait d’accord avec ce véritable séisme qui bouleversait la hiérarchie syndicale. Enfin le réformisme prenait en France la première place !

Mais alors que nous rentrons dans la phase décisive du conflit social, le doute est de retour. Non pas parce que l’Exécutif a repris la main mais essentiellement parce que la CGT n’abandonne pas la partie. C’est même tout le contraire car elle fait désormais jouer à plein ses forces dominantes. Et c’est ainsi que certaines fédérations du syndicat de Philippe Martinez annoncent sans aucune hésitation que la messe n’est pas dite. Dans la foulée, les responsables de ces fédérations ( Energie, RATP, SNCF, Ports et Docks) etc …) font comprendre qu’il ne s’agit plus de débat paisible, que la violence des gestes et des paroles est de retour. Leur objectif déclaré et assumé est très clair : pour obtenir satisfaction  il sont prêts à « mettre l’économie à genoux ».

En somme, si les mots ont encore un sens , ils déclarent la guerre à leur propre pays.

Ce type de déclaration est proprement inconcevable pour un démocrate, qu’il soit de Gauche ou de Droite, car elle est le produit de la pure violence mais aussi et surtout de la bêtise crasse. Car comment ne pas comprendre que s’ils mettaient en application leurs menaces, ce seraient d’abord et avant tout les plus pauvres des Français qui en souffriraient.

Il est vrai que ces « va-t-en guerre » des régimes spéciaux ne veulent pas comprendre qu’ils ont presque tous les droits, comme par exemple celui de partir en retraite très largement avant tous les autres salariés. Et que la règle dite du « grand-père » qui prévoit une transition de plusieurs dizaine d’années ne les calmera pas. Ils ont tué Juppé en 1995, ils appliqueront leur savoir faire près de quarante années plus tard !

C’est pour cette raison essentielle, la conservation des régimes spéciaux, que la guerre a été déclarée et s’étend.

Pour cela, et à l’orée d’une semaine décisive, le leader Laurent Berger est en réalité et sournoisement mis en cause. Il y a quelques semaines, il affirmait à mots prudents, mais clairs, que le 7 mars les contestataires mettraient à l’arrêt le pays. Pour qu’enfin les élus, vraiment informés du grand mécontentement, remplissent leur mission de faiseurs de loi, en toute liberté. En quelque sorte que la démocratie représentative joue son rôle. Ce que ne lui permet pas dans leur folle dérive, ni LFI ni les jusqu’au-boutistes syndicaux.

 Sortir de ce piège ne sera pas facile pour Laurent Berger :

              -Ou il sera contraint de se renier et d’adopter les excès que manifestement il réprouve.

              – Ou il aura le courage et l’habileté (alors que Phillipe Martinez est à quelques jours de finir son mandat) de ramener à la raison les égoïstes forcenés qui veulent mettre le feu. Et cela ,sans que quiconque puisse mettre en doute son indépendance vis à vis de l’Exécutif.

De sa victoire ou de sa défaite dépend en réalité l’installation en France d’un syndicalisme moderne tel qu’il est présent dans l’énorme majorité des pays développés . Un syndicalisme responsable qui nous évitera d’être moqués, en particulier par certains Allemands qui prétendent que les Français ne veulent pas voir et prendre en compte ce qui se passe ailleurs et qu’ils ont le droit absolu de vivre  dans une « Ile des bienheureux ».