
Europe 1
La semaine dernière le Président de la République a officialisé la réforme de l’ENA. Cette annonce est la suite des promesses faites aux Français pendant la crise des Gilets jaunes.
L’ENA sera remplacée par l’Institut de Service Public (ISP). Cet institut devrait, semble-t-il, assurer le socle de la formation commune à 13 écoles de service public.
Deux objectifs sous-tendent cette réforme, que l’exécutif présente comme une preuve manifeste de sa volonté réformatrice.
La finalité première consiste à diversifier socialement le recrutement des hauts-fonctionnaires. Ce but est un de nos grands classiques actuels car l’énorme majorité des élèves de l’ENA est toujours issue des mêmes milieux sociaux privilégiés.
L’ENA n’est toujours pas un exemple de fonctionnement satisfaisant de l’ascenseur social. Les enfants d’ouvriers ne deviennent que très rarement des Inspecteurs des Finances.
En réalité, c’est par l’intermédiaire de cette grande école créée en 1945 par Michel Debré, que s’est constitué peu à peu un cercle fermé, qui peut être assimilé à une sorte de nouvel ordre constitutif de l’Etat; comme l’était en son temps la noblesse de l’Ancien Régime.
Le deuxième objectif poursuivi consiste à casser la prédominance de la Haute Administration dans la conduite de l’Etat. Cela ne va pas être facile à réaliser car les hauts fonctionnaires sont de plus en plus perçus comme étant les vrais décideurs dans notre République.
Les majorités parlementaires changent, mais eux sont toujours là, discrets et quasi inamovibles.
L’une des difficultés essentielles va résider dans le fait que la réforme se heurtera sans surprise à la résistance souterraine, mais acharnée, des technocrates déjà en place.
Certaines de leurs réactions annoncent déjà la couleur. C’est ainsi que beaucoup ne se privent pas de dire que l’on se trompe de bataille. Il n’y a pas, selon certains hauts fonctionnaires, « de mauvais soldats, il n’y a que de mauvais généraux ».
En somme n’attaquez pas les énarques. Prenez-vous en plutôt aux politiques qui les utilisent.
Cette défense n’est guère recevable car aujourd’hui, une forte escouade de ces fonctionnaires, anciens élèves de l’ENA s’est transformée en régiment d’hommes politiques qui remplacent peu à peu les politiciens classiques. Les anciens élèves de l’ENA se sont substitués aux notables de province des républiques précédentes. En toute tranquillité (leur avenir est assuré à vie par leur statut de fonctionnaires) ils occupent en rangs serrés la plupart des ministères. Et mieux encore, ils semblent avoir déjà réservé leur fauteuil à l’Elysée (4 présidents sur les 8 que nous avons connus sous la 5eme République), à Matignon, au Ministère des Finances etc….
Mais aujourd’hui les temps changent. On sentait venir tout doucement la tempête, mais depuis un peu plus d’un an elle gronde, toute proche. La Covid 19 apporte au citoyen de base la démonstration concrète que les captateurs du pouvoir profond, ne sont pas à la hauteur de leur mission
Chaque jour davantage les Français perçoivent qu’ils sont sous l’assistance et la coupe d’une administration lente, très lente, incompréhensible, irritante pour un citoyen qui lui, veut bien faire des efforts, mais exige en retour un véritable changement de la bureaucratie.
Cette dernière donne l’impression que sa principale préoccupation n’est pas l’efficacité mais la lenteur que génère systématiquement le principe de précaution .
On a en réalité le sentiment détestable que, comme le suggère Jean-Marc Vittori dans Les Echos, les énarques « ont objectivement intérêt à ce que le monde administratif soit de plus en plus compliqué ».
Cette lenteur, ces dysfonctionnements nombreux et répétés se sont installés d’autant plus facilement dans notre pays qu’Ils sont en harmonie avec la société française qui depuis des années semble avoir trop souvent abandonné la politique du risque pour se cantonner dans l’assistance systématique.
L’expérience vécue à l’occasion de cette pandémie, devrait nous inciter à une vraie réforme de notre administration. Ceci d’autant plus que se rapproche à grand pas, venue de l’étranger, la remise en question du monde tel qu’il est aujourd’hui. Demain est menaçant et les mouvements tectoniques qui vont secouer la géopolitique de la planète entière devraient nous inciter à nous remettre en question ; nous, nos gouvernements et notre administration.
Si cette alerte a un quelconque fondement, la disparition de l’ENA que vient de décider le Président de la République est certainement la bienvenue.
Mais une question se pose aussitôt : doit-on recruter les futurs cadres de la Nation exclusivement parmi les brillants diplômés ou doit-on aussi les rechercher et les distinguer parmi ces aventuriers que l’on trouve souvent dans les entreprises, les associations et institutions de toutes sortes.
Le débat est désormais sur la table .