L’ensemble de la presse nationale s’est faite l’écho de la disparition d’un journal : France-Antilles qui vient d’être mis en liquidation judiciaire.
Certains ont sans doute pensé qu’une telle publicité était exagérée car bien des entreprises connaissent de tels désastres par les temps qui courent.
C’est vrai, mais ma connaissance de cette entreprise et du terrain me permettent de penser que cette mise sous le feu des projecteurs était parfaitement justifiée compte tenu des caractéristiques de ce journal.
En effet, la fin de cette entreprise constitue une alerte très forte car elle confirme l’incroyable : l’écroulement de la presse écrite ces dix dernières années.
Certes ce journal situé à plus de 6000 kms de l’Hexagone était un cas particulier. Créé en 1964, il a traversé comme une météorite l’histoire des journaux français. Souffreteux dans un premier temps , il était devenu avec ses filiales ( affichage, radios, magazine de télévision) et en quelques années une entreprise de près de 300 salariés avec une rentabilité exceptionnelle.
Pendant quelques décennies, ce produit des DOM-TOM a donné des leçons à beaucoup de ses confrères de l’Hexagone. Le miracle n’a pas perduré, puisqu’au final FA vient d’exploser en plein vol.
Pourquoi cette réussite d’hier ? Pourquoi cette triste fin aujourd’hui ?
Les raisons du succès étaient multiples. On peut en retenir deux :
D’abord sa création récente qui lui avait permis d’éviter les contraintes traditionnelles. Disons clairement les choses : FA avait pu échapper aux blocages générés par le corporatisme du syndicat du Livre. En conséquence, la productivité était dans les normes classiques pour toute entreprise ordinaire et donc largement supérieure à ce que l’on pouvait constater en métropole dans les ateliers de la plupart de nos quotidiens.
Autre raison de ce succès ( la plus essentielle sans doute ): peu de journaux, avaient su établir une liaison aussi forte, quasiment emblématique, avec la population de son territoire, c’est à dire avec ses clients. D’une certaine façon, en rendant largement compte des faits et gestes des Antillais, France-Antilles était devenu partie intégrante de la culture de ces départements. Le journal participait ainsi à l’égalité qui doit normalement exister entre toutes les régions de notre pays.
D’où des chiffres exceptionnels de « diffusion payante » et, encore plus remarquables pour les des recettes publicitaires tout à fait hors des normes classiques.
Dans ces conditions, pourquoi cette fin aussi soudaine que violente ?
Pour la raison déterminante que ce journal, comme tous ses confrères, a été, agressé et fragilisé par la montée en puissance du web.
Il s’était accommodé de la très forte audience des radios et des télévisions ( pourtant particulièrement puissante aux Antilles ), mais il a été balayé, par le pouvoir tentaculaire des disciples et utilisateurs d’Apple et Google.
Ses lecteurs l’ont abandonné. Surtout les plus jeunes qui ne voient pas l’intérêt de se tourner vers un média inadapté aux contraintes géographiques (l’instantanéité du web abolit éloignement et décalage horaire). Mais cet abandon a aussi été le fait des commerces de distribution et des agences du publicité très nombreuses et puissantes aux Antilles. Ces prescripteurs avaient de plus en plus besoin d’une réponse accélérée à leurs initiatives commerciales. Cette attirance pour le web a été d’autant plus forte qu’ainsi les annonceurs ont pu se libérer à moindre frais ( tarifs largement moins élevés) de la toute puissance de France-Antilles.
Après bien des sursauts et des projets de reprise sans réelle consistance, les juges ont prononcé le décès. Reste la question fondamentale : cette fin sous les tropiques est-elle annonciatrice d’autres catastrophes tout près de chez nous, dans beaucoup de rédactions et d’ateliers ?
On peut le craindre ! Google rode partout. Et beaucoup trop de Français commencent à intégrer qu’à son tour le temps des diligences de l’information est révolu.