
Dans notre cinquième République, lorsque nos rois d’aujourd’hui meurent , les Français se posent la question de savoir quelle sorte de grand homme ils vont enterrer : un grand, mais éloigné d’eux par l’importance de sa tâche qu’il juge toujours prioritaire ; ou un humain parce que sensible et attentif aux aspirations des Français. De Gaulle c’est Louis XIV ; Chirac ce sera Henri IV. Le premier a bâti un grand Etat, le second a su, avant tout, parler aux Français. Henri IV buvait force Jurançon, et se préoccupait de la poule au pot. Jacques Chirac ne connaissait que la bouteille de Corona et raffolait de la tête de veau. Henri IV mis fin à la guerre de religion en prétendant que « Paris vaut bien une messe » et Chirac nous évita de sombrer dans le bourbier irakien en s’opposant à Bush junior.
Bien plus que l’image d’un grand homme d’Etat, s’est installé peu à peu l’image d’un homme qui aimait les Français. Par bien des points il leur ressemblait : truculent, grande gueule, quasi ingérable.
Cette sorte d’affection qu’il suscitait depuis qu’il avait quitté le pouvoir devra être pas entérinée par le jugement de l’Histoire.
Rien n’est certain tant son bilan est contrasté : courage et lucidité à l’international mais à l’opposé, hésitant et changeant en politique intérieure ; même si parfois la porte était ouverte pour les grands changements.
Le « grand Jacques » sera peut-être relégué à un niveau inférieur, celui des responsables politiques, à la mode « Rad-Soc » des Républiques précédentes .
Mais qui peut le dire aujourd’hui, alors que nous manquons du recul nécessaire pour juger ?
Ce qui est par contre évident, c’est le remarquable consensus qui s’est installé à l’occasion de ce décès. Accord non seulement entre les Français mais aussi entre quasiment tous les politiques.
Seulement deux de ces derniers font tache : Jean-Marie Le Pen, à sa façon, violente et dérisoire et Laurent Wauquiez qui, comme d’habitude, en a trop dit.
En effet, pour faire parler de lui, le Président de région a cru subtil de faire parler le mort. Il a repris les mots même de Chirac à son départ de l’Elysée (« Pas un instant, pas une minute, je n’ai cessé d’agir pour servir . . .cette France que j’aime autant que je vous aime » ).
On a alors compris que Laurent Wauquiez s’appropriait sans pudeur ce discours si personnel. Le mort prestigieux n’a plus alors été qu’un faire-valoir transparent, au service du toujours ambitieux ancien Président des L R.
Les analystes politiques et peut-être même les experts de l’âme humaine n’ont pas fini de réfléchir sur cet emprunt qui ressemble plus à l’annonce d’un retour précipité sur la scène nationale qu’à l’expression du respect et de la peine sincère que suscite la disparition de Jacques Chirac.
Reste une dernière question : quelle leçon retirera Emmanuel Macron de ce dialogue « post mortem » entre les Français et leur ancien Président ?
La compétence, il l’a et au delà. Reste à acquérir l’humanité, l’empathie naturelle, le courage devant les épreuves. Objectifs que ses adversaires jugent irréalisables. Il lui reste deux ans pour prouver que tout est possible. Après tout, comme lui, Jacques Chirac n’était-il pas un brillant produit de notre technocratie controversée.