
Pour comprendre dans toute son amplitude, l’importance de la transmission au Parquet du rapport de la Commission sénatoriale sur l’affaire Benalla, il suffisait d’observer le visage de Bruno Retailleau sur les chaînes d’Info.
L’ancien soutien inflexible de la candidature Fillon rayonnait, un enfant gourmand devant un pot de Nutella !
La Commission et le Sénat ne jouent pas « petit bras », c‘est le gros lot qu’ils veulent . En plus d’Alexandre Benalla , ils jettent dans l’arène les principaux collaborateurs du Président. De quoi satisfaire les grands perdants de 2017.
Les sages de la deuxième chambre deviennent des guerriers.
Certes ils invoquent toujours leur objectivité et leur souci du droit, mais dans la pratique, ils tirent au canon et portent des jugements sur l’organisation même de l’Elysée, mettant ainsi à mal la séparation des pouvoirs.
Pourquoi ce changement de pied ? Pourquoi cette violente attaque ?
D’abord pour une raison évidente : la situation s’y prête. Emmanuel Macron est affaibli par la grogne des « gilets jaunes » et depuis près de 9 mois l’affaire Benalla est un véritable sparadrap collé à ses pieds. Beaucoup d’observateurs considèrent qu’à tort il a surprotégé son collaborateur et que la plupart de ses prédécesseurs l’auraient depuis longtemps éjecté.
Deuxième raison, les occupants du Palais du Luxembourg ont aujourd’hui le sentiment d’être agressés par la réforme constitutionnelle en projet. Il est en effet question de réduire sensiblement le nombre de sénateurs.
Le Président est même allé plus loin en laissant entendre, dans sa « lettre aux Français », que le Sénat pouvait être supprimé dans sa forme actuelle ! Ce qui va tout à fait dans le sens des gilets jaunes et d’une proposition redondante du Grand Débat.
Mais à ce stade, nous quittons la réalité pour rentrer dans la fiction.
Devant le tir croisé (Président plus Gilet Faunes), un grand nombre de sénateurs a peut-être pensé qu’il fallait, en réplique, déstabiliser le Président.
Voire même, si la situation générale devient ingérable pour Emmanuel Macron, envisager un peu tout, y compris sa démission et son remplacement.
Beaucoup de leaders politiques en rêvent « chaque matin en se rasant ». Mais très, très peu pourraient atteindre ce but !
Ne parlons pas de Jean-Luc Mélenchon, ni même de Marine Le Pen qui n’a toujours pas apporté la preuve qu’elle était capable de fracasser le plafond de verre. Ni même encore de Laurent Wauquiez dont l’image très clivante de technocrate de haut-vol donnera l’impression qu’il n’est, malgré ses changements de pieds continuels, qu’un avatar du Président actuel.
Ne rêvons pas d’un inconnu ; le miracle du Nouveau Monde n’a lieu qu’une fois.
Mais pour atteindre cet objectif, le Sénat, lui, disposerait d’une arme létale. Personne n’en parle, mais beaucoup y pensent : elle s’appelle Gerard Larcher, son président
Totalement ignoré par les actuels sondages, il dispose pourtant d’atouts indéniables. Il est le seul commun dénominateur entre la droite et la gauche modérée. Sa longue expérience serait aussitôt assimilée à de la compétence et il sait par ailleurs que le poste de Président par intérim qui lui reviendrait, apporte sur un plateau un nombre d’avantages considérables pour aborder une hypothétique élection présidentielle ; ( sauf à être aussi nul qu’Alain Poher son lointain prédécesseur placé dans la même situation en 1969).
Cette ambition souterraine, jamais exprimée est, selon toute vraisemblance, largement partagée sous les lambris et dorures du Palais du Luxembourg. Elle peut en tous les cas expliquer largement le coup de Jarnac tenté par les Sénateurs.
Au final, on pourrait alors constater que les gilets jaunes auraient dégagé la route pour que disparaisse le nouveau monde et ainsi, extraordinaire paradoxe, que, grâce aux actions des insatisfaits des ronds-points, les notables de tous bords reprennent la main qu’ils avaient perdue il y a deux ans.
La France y trouverait-elle son compte ? Beaucoup peuvent en douter !