La manoeuvre

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France-Info

 

Le « grand débat » est commencé depuis quelques semaines. Contrairement aux pronostics de beaucoup, on est loin du flop annoncé.

Une chose est déjà certaine : la France est le seul pays où une telle opération pouvait et devait être organisée.

Il n’empêche, les  critiques et préventions abondent. Du type «  il n’y aura pas d’issue concrète » et puis surtout, venu de toutes parts, »c’est une manoeuvre du Président pour conserver sa place et son pouvoir ».

Est-ce faux ?

Comment douter qu’il y ait une grande part de vérité dans ce jugement.

Est-ce condamnable?

Au risque de choquer les bonnes âmes, je dirais certainement pas. L’Histoire des nations mais aussi les écrits de sages comme  Machiavel nous enjoignent, depuis longtemps, à ne pas croire à la fable démagogique selon laquelle les vrais hommes d’Etat peuvent gouverner innocemment.

En réalité, face à la contestation qui s’est développée depuis le mois de novembre, c’était la seule réponse possible. D’autant plus que le pouvoir légitimement élu, se trouve confronté depuis des semaines à une double attaque.

D’abord celle, claire et nette, des gilets jaunes. Cette attaque frontale est  avancée comme légitime car elle est portée par le peuple. Quel peuple ? Ce dernier n’est jamais clairement défini.

Tout au plus peut-on penser, après observation des équipes des rond-points, que sont exclus de ce peuple tous ceux qui n’appartiennent pas à la classe sociale moyenne pauvre. Cette segmentation est d’ores et déjà en voie de disparition.

Ce populisme tire sa force de la conviction d’un postulat simpliste :  toutes les élites  de ce pays, et tout particulièrement le Président, sont incapables de comprendre les revendications de la classe moyenne.

Pour les gilets jaunes Emmanuel Macron est, par son origine et sa formation, le représentant parfait de cette oligarchie qui par principe est fermée aux revendications sociales. Il est le représentant, aveugle, sourd et arrogant du haut du panier.

La seconde attaque est plus insidieuse, presque occulte. C’est à la fois celle des partis politiques de gouvernement de l’ancien monde. Mais aussi celle en provenance des populistes d’extrême droite et d’extrême-gauche

Cette alliance bâtarde se rêve en arbitre qui, moderne César, n’aura plus qu’à abaisser le pouce pour rejeter dans le néant, l’impudent qui les a dominés en mai 2017.

Face à cette coalition de la rue et des partis traditionnels, le Président aurait pu pratiquer ce que Raymond Aron appelait «  la corruption par excès de démagogie ». C’est à dire céder très vite aux revendications, même à celles poussées jusqu’à l’extrême.

Ce n’est pas la voie choisie.

Le grand débat c’est en réalité une forme de manoeuvre pédagogique.

C’est une forme de maïeutique (1).

Il présente l’avantage de faire s’exprimer les désirs, les besoins, les exigences de tous les Français. Dans le même temps il fera émerger des pistes positives, mais aussi les impossibilités, les délires et surtout les contradictions comme celles qui éclatent au grand jour lorsqu’est lancée la chasse aux niches fiscales en matière d’emplois à domicile.

En somme le piège est tendu.

C’est la fin annoncée de notre fameux et imbécile «  y à qu’a « 

Le « grand débat » n’est pas qu’une manoeuvre que certains diront très classique chez un homme politique. C’est plus subtil.

Cette libération des ressentiments aura surtout le mérite de nous mettre face aux réalités économiques de notre monde en mutation et en bouleversements ; ces réalités incontournables que pourtant nous voulons ignorer.

Nous sommes des insatisfaits perpétuels qui, selon l’expression très provocatrice du grand voyageur Sylvain Tesson, « habitons un pays, la France, un paradis peuplé de gens qui se croient en enfer »

C’est peut-être ce que le manoeuvrier de l’Elysée veut nous démontrer,   ambition évidemment impossible à satisfaire. C’est à peu près la seule certitude que nous ayons aujourd’hui !

  

1- ou l’art de faire découvrir la vérité par ses propres interlocuteurs.