
La réforme…toujours
Pour ceux qui en doutaient encore, Emmanuel Macron vient à New Delhi d’annoncer la couleur : « les réformes, cela ne s’arrêtera pas ». Jusqu’à ces derniers jours, les paramètres sociaux occupaient seuls la scène. Ils y demeurent, mais désormais accompagnés de sujets plus politiques. Les problèmes en ligne de mire se situent dans une sphère plus restreinte, mais tout aussi porteuse de frictions et de querelles potentiellement très fortes. « Monsieur tout le monde » n’est pas directement concerné, ce sont ses représentants élus, députés et sénateurs, qui sont mis en question. La tempête abandonne provisoirement les règles et coutumes du droit du travail au sens large pour aborder les rives de la Constitution et des lois organiques. Les élus vont être confrontés à une remise à jour de leur statut et des modalités d’exercice de leur mission. Par exemple, on va débattre dès le mois d’avril, de la réduction du nombre de parlementaires, de la restriction du droit d’amendement, mais aussi de la limitation dans le temps du nombre de mandats exercés.
Bien évidemment, sur ces sujets qui les touchent en quelque sorte dans leur chair, les représentants du peuple ont abaissé les herses et érigé les remparts. Tout particulièrement les sénateurs qui croient pouvoir disposer de l’arme fatale contre les velléités de la Présidence. Ils rappellent en effet que leur accord est pratiquement indispensable puisqu’une réforme de la Constitution, si elle emprunte la voie parlementaire, implique une majorité des 3/5em ; objectif quasi impossible avec l’actuel Sénat, contrôlé par une majorité de Droite.
L’obstacle dressé est en effet sérieux, mais pas infranchissable. Ceci pour une double raison.
La première tient au fait que certains textes envisagés ne relèvent pas de la Constitution, mais plus modestement de la simple loi ou des lois organiques et qu’en conséquence leur adoption pourra se faire à la majorité ordinaire.
La deuxième est encore plus décisive : c’est le pouvoir qu’a le Président d’avoir recours au référendum populaire. Or en l’état actuel de l’opinion publique l’arme est redoutable puisque 9 Francais sur 10 se déclarent en accord avec les réformes annoncées.
Est-ce à dire que d’ores et déjà « la messe est dite »? Certainement pas, car dans certains cas, des nuances, des synthèses peuvent être envisagées.
Ce ne sera pas le cas pour la réduction envisagée du nombre de parlementaires. Car non seulement cette réforme va largement dans l’air du temps et les préventions de l’opinion publique. Mais au surplus elle nous ferait sortir du top 5 des pays les plus laxistes et dispendieux en la matière et nous ramènerait aux effectifs que connaissaient nos deux chambres il n’y a guère plus de 20 ans.
Par contre, pour au moins deux autres réformes, des transactions sont possibles, voire nécessaires :
– la première est celle qui prévoit la limitation à 3 mandats successifs . À première vue cette disposition relève du bon sens et de l’équilibre. C’est la fin des « mandats à vie » qui sont perçus de plus en plus, par une majorité de Français, comme des fiefs féodaux accordés par la République.
Cette perception est sans doute exagérée et donc injuste, mais il ne peut en être autrement dans un temps où les salariés sont très souvent confrontés aux transformations du Nouveau Monde et où le changement de profession, de statut et même de localisation devient la règle commune. Les principaux défenseurs du « statu quo » (Gérard Larcher et Christian Jacob) devraient se montrer plus discrets, car leur appel à la défense de la territorialité et du monde rural est un mauvais prétexte, eux qui en sont déjà à leur sixième mandat et n’envisagent surtout pas de dételer.
Il n’empêche que si cette réforme est logique elle n’est vraiment pas indispensable ni conforme à la liberté de choix des citoyens. La plupart des pays démocratiques n’appliquent d’ailleurs pas ce type de couperet et ne s’en portent pas plus mal. À l’exemple de l’Allemagne où Mme Merkel, une nouvelle fois élue, se prépare à entamer son quatrième mandat à la tête du gouvernement allemand.
– la deuxième réforme, qui peut et doit susciter le compromis, est celle qui prévoit l’introduction de la proportionnelle dans les élections nationales. Elle permettrait une plus équitable représentation des courants politiques trop souvent lésés par le scrutin majoritaire. Mais là aussi une extrême prudence est de rigueur, car trop de représentation proportionnelle déréglerait trop profondément cette 5em République qui, depuis près de 60 ans, a permis à notre pays, vaille que vaille, de traverser une des périodes des plus difficiles de notre histoire.
Au-delà de toutes ces réformes sociétales, sociales et politiques, reste une question fondamentale. Leur rythme endiablé est-il compatible avec notre conservatisme ? Oui sans doute semble dire le sondeur et politologue Brice Teinturier pour qui « beaucoup de Français se disent, en somme : délibérer c’est bien, mais agir c’est encore mieux ». Raymond Soubie, l’ancien conseiller « social » de Nicolas Sarkozy pense même qu’Emmanuel Macron a trouvé le secret, car sa stratégie est celle du principe de la bicyclette : tant qu’on avance, on ne tombe pas. Oui sans doute, mais gare aux crevaisons !
Les éditos d’Henri Merle : http://www.henrimerle.com