Les Balais à crin

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La Bête humaine

Ce n’est pas un petit train touristique qu’emprunte Emmanuel Macron depuis son élection. C’est à un train d’enfer que se succèdent les réformes : celle du droit du travail, celle de la SNCF, celle de la formation, du chômage et bientôt des retraites.

Avec la réforme de la SNCF, la course de fond est lancée et ce n’est pas un hasard si cette petite révolution vise l’entreprise emblématique d’un certain conservatisme à la française.

Crée il y a 80 ans, elle a assez rapidement réservé un statut très avantageux aux « roulants », confrontés il est vrai, aux très dures 

conditions techniques de l’époque. Le conducteur de TGV n’a, et c‘est heureux, plus rien à voir avec le conducteur de machine à vapeur illustré par Jean Gabin dans « la Bête humaine »

Le vrai problème, c’est que ce statut a été assez rapidement accordé à tous les salariés de la société, quel que soit leur poste.

Presqu’un siècle est passé et le statut demeure, très au dessus du droit commun, voire même dans certains cas du statut de la Fonction publique.

Aujourd’hui, devant la dégradation des services rendus et de l’état financier de l’entreprise, le Gouvernement vient d’engager le fer pour qu’une réforme profonde soit entamée.

Est-ce une provocation comme l’affirment la plupart des syndicats ou une volonté de réforme en profondeur?

Sur le plan économique la réponse ne fait aucun doute : la SNCF ne peut plus continuer sur les bases actuelles.

               Dès 2019 les règles européennes de concurrence doivent être appliquées et la société nationale devra s’y plier. Et  parmi les conséquences de ce changement, le statut très privilégié des cheminots doit, progressivement,  être remis en cause ; d’où sa disparition pour les nouveaux entrants, comme cela a été fait pour France-Télécoms. Cela ne sera pas suffisant :une plus grande rigueur, plus de souplesse dans l’organisation du travail et surtout une nouvelle politique d’investissements doivent s’imposer. En somme, et en schématisant, il faudra redonner sa juste part aux trains de banlieue totalement délaissés ces dernières années au profit des TGV.

Le déficit abyssal de l’entreprise impose absolument cet aggiornamento dans la plupart des secteurs.

La France ne peut plus porter à bout de bras une entreprise déficitaire comme la SNCF. En 1995 ( date du conflit avec le gouvernement Juppé)  sa dette cumulée  était équivalente à 56% de notre PIB , elle atteint aujourd’hui 100 % de ce même PIB. Cette progression hallucinante est le marqueur incontestable des difficultés rencontrées et de l’insatisfaction croissante des usagers.

Le statut hyper privilégié du personnel n’explique pas tout, mais il est sans doute plus que temps de prendre une autre voie.

Au-delà des simples contraintes économiques, comment nier que cette réforme nécessaire pose en fait un problème politique, un problème de pouvoir, que ce soit pour les syndicats ou pour le gouvernement

Aujourd’hui les syndicats français disposent, avec les salariés hyper protégés de la SNCF, d’une arme décisive en cas de conflit généralisé d’une grande ampleur.

Si la réforme a lieu, c’est pour eux, à terme, un affaiblissement quasi certain dans les luttes qu’ils entameront, même dans les autres secteurs d’activité. Car les syndicats, du type CGT, risqueront de ne plus pouvoir prendre en otage l’ensemble de l’économie française.

A l’opposé, cette réforme peut conduire à une vraie question de survie pour l’actuel gouvernement.

Si le Président est obligé de reculer, c’est tout son quinquennat qui sera en danger. Il aura perdu toute faculté d’agir, et ceci dans tous les domaines. Comme cela a d’ailleurs été le cas pour Jaques Chirac lorsqu’il a ordonné à son Premier ministre ( Alain Juppé) de battre en retraite.

En fait, fidèle à sa stratégie, Emmanuel Macron s’est mis volontairement le dos au mur. C’est pour lui, le tout ou rien. La réforme à marche  forcée.

Son autorité, il veut la puiser non seulement dans son élection, mais aussi dans la confrontation acceptée, voire recherchée avec ses oppositions politiques ou syndicales.

                                           

Le printemps sera chaud, mais pour le Président, le pari est loin d’être perdu d’avance. Peu à peu des signes apparaissent. Les Français commencent  à réaliser que nous ne sommes plus du tout les maîtres du monde, que nos concurrents ne nous épargneront pas et que le monde technologique et connecté qui s’installe, est insensible à notre confort et à notre nostalgie du passé. Les Américains et les Chinois ne sont pas prêts à financer nos oeuvres sociales.

Il faut désormais, toujours et partout, innover, changer, parce qu’au temps des aspirateurs-robots, les usagers et donc les clients, ne peuvent plus se contenter des balais-à-crin et des plumeaux. On commence à le comprendre.